Les sciences sociales ont longtemps vu dans la circulation des rumeurs les symptômes d'un dérèglement social. Pourtant, scientifiquement parlant, la rumeur n'a rien de péjoratif. Vue comme une forme d'échange social, souple et multiforme, elle éclaire le débat sur la confiance envers les médias et le rapport des citoyens au pouvoir.
Le phénomène des rumeurs fascine, passionne, intrigue. De Virgile (L'Enéide) à Beaumarchais (Le Barbier de Séville), en passant par Gabriel Garcià-Marquez (La Mala hora), la rumeur compose pour la littérature une matière première dont les ressorts sont infinis. Notre quotidien, lui aussi, fourmille de ces nouvelles où le réel côtoie l'imaginaire. Les attentats du 11 septembre, le tsunami en Asie ou, plus près de nous, la vie privée de Nicolas Sarkozy démontrent que les événements qui pénètrent l'espace public et médiatique sont très souvent, pour ne pas dire immanquablement, escortés par leur cortège de rumeurs :« Le gouvernement et les services de renseignements des Etats-Unis savaient que les Twin-Towers allaient être la cible d'un attentat, ils auraient averti leurs proches travaillant dans les tours qui ne sont pas allés travailler ce jour-là. Aucun avion n'a frappé le Pentagone... Le tsunami est le résultat d'une nouvelle bombe naturelle testée par les Américains... » Contre-versions des versions officielles, ces rumeurs flottent dans l'opinion, surnagent au conditionnel dans les médias et inondent Internet.
Du point de vue sociologique, ce que le langage commun nomme « rumeur » est la diffusion d'une information doublement illégitime, au regard des discours conventionnels et des canaux de contrôle de l'information, aujourd'hui les autorités et les médias habituels, plus généralement tous les « centres de vérité » (conciles, tribunaux, académies) (1). De ce fait, les acteurs sociaux qui veulent échanger des rumeurs ont recours au registre de la connivence et du secret (« Puisqu'on est entre nous, je peux vous raconter que... ») ou font appel à la force anonyme du nombre (« Toute la ville sait que... »). La rumeur ne pouvant être énoncée publiquement sans des préventions d'usage, le colporteur emprunte donc les formes d'énonciation propres aux informations clandestines : référence à l'indéfini (« on raconte... »), à l'impersonnel (« il se dit... »), usage du conditionnel. Quand il souhaite marquer une certaine distance avec le récit, parce que trop peu crédible ou trop scabreux, il le présente comme une « rumeur », des « on-dit », des « racontars ». Si, au contraire, il se l'approprie pleinement et veut lui donner tout crédit, il dit le tenir d'un ami, ou de l'ami d'un ami très bien informé. Quel que soit l'habillage que choisit l'énonciateur, la rumeur est identifiable par le recours au registre de la révélation. Certaines situations sont plus propices à l'échange de rumeurs. Face à un événement troublant dont les causes restent obscures, l'absence de vérité publique ou le scepticisme envers les institutions qui la délivrent rendent l'espace public plus perméable aux informations non vérifiées. Poussé par une volonté de savoir urgente et insatisfaite, le colportage intensif d'une rumeur résulte de la forte valeur d'information que lui attribue une partie du public.
15 juillet 2011
Rumeurs : il n'y a pas que la vérité qui compte... - Philippe Aldrin, article Sociologie
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