Pour la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), un employeur dont l'éthique est fondée sur la religion ou une croyance philosophique peut imposer à ses employés des obligations de loyautés spécifiques. En l'occurrence, le respect de la fidélité conjugale….
Michael Obst était « directeur pour l'Europe des relations publiques » de l'Eglise mormone ; Bernhard Schüth, lui, était l'organiste et le chef de chœur d'une paroisse catholique. Tous les deux entretenaient (chacun de leur côté, qu'on se rassure) une relation adultérine qui leur a valu un licenciement pour faute.
La Cour fédérale du travail allemande a estimé que la décision était justifiée car les employés ont « manqué à leur obligation de loyauté » :
« Les exigences respectives de l'Eglise mormone et de l'Eglise catholique en matière de fidélité conjugale n'étaient pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l'ordre juridique. »
La Cour européenne, elle, devait dire si l'équilibre avait été respecté entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et familiale des deux salariés (garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme) et, d'autre part, les droits dont jouissent l'Eglise catholique et l'Eglise mormone en vertu de l'article 9 (liberté de religion), interprété à la lumière de l'article 11 (liberté de réunion et d'association).
Le 23 septembre dernier, elle a validé le principe selon lequel « au regard de la convention, un employeur dont l'éthique est fondée sur la religion ou sur une croyance philosophique peut […] imposer à ses employés des obligations de loyauté spécifique. »
Dans le cas de l'organiste, elle estime qu'il y a eu violation du droit à la vie privée et familiale. Pas dans celui du directeur des relations publiques de l'Eglise mormone.
Eglise catholique-Eglise mormone : deux poids deux mesures ?
Michael Obst, âgé de 51 ans, a grandi au sein de l'Eglise mormone qui, en Allemagne, bénéficie d'un statut de personne morale de droit public (« öffentlich-rechtliche Körperschaft »). En 1980, il s'est marié selon le rite mormon.
Après avoir exercé différentes fonctions au sein de l'Eglise mormone, il était au moment de son licenciement directeur pour l'Europe au département des relations publiques, avec un salaire mensuel d'environ 5 000 euros. C'est lui qui s'est confié à son directeur de conscience pour lui confier que son mariage périclitait et qu'il avait eu des relations extraconjugales. Il a été licencié pour faute grave, puis excommunié.
Son contrat de travail impliquait le respect de « principes moraux élevés » :
« Il s'engage à s'abstenir de fumer, de boire de l'alcool ou du café en grains ou de consommer des stupéfiants dans les locaux de l'Eglise et à proximité de ceux-ci, ainsi que lors des déplacements ou événements professionnels. En cas de manquement grave, l'employeur peut prononcer un licenciement sans préavis. »
« Vivre dans l'abstinence en cas de séparation ou de divorce »
Berhard Schüth, lui, était chef de choeur dans la paroisse catholique de Saint-Lambert, à Essen. Au moment de son embauche, il prête serment :
« Je promets de remplir mes obligations professionnelles et de respecter et d'observer les prescriptions ecclésiastiques. »
Dix ans plus tard, il se sépare de son épouse, mère de ses deux enfants, pour s'installer avec sa compagne. Quand il devient public qu'ils attendent un enfant, le doyen de la paroisse le convoque et le licencie au motif suivant :
« En entretenant une liaison extraconjugale avec une autre femme qui attendait un enfant de lui, non seulement il aurait commis l'adultère, mais se serait également rendu aussi coupable de bigamie. »
Dans la Revue de jurisprudence sociale Francis Lefebvre n° 1/2011 (à paraître), Emmanuelle Lafuma, maître de conférences à l'université Paris-XIII, explique :
« Dans l'affaire Obst (mormon), le juge allemand avait mis en avant la position importante du requérant dans la hiérarchie de l'Eglise mormone et le caractère limité du préjudice résultant de son licenciement.
Dans l'affaire Schüth, la Cour reproche à la juridiction allemande le caractère succinct de son raisonnement. D'une part, le requérant se trouvait séparé de son épouse. L'existence de loyautés spécifiques ne pouvait valoir acceptation sans équivoque de vivre dans l'abstinence en cas de séparation ou de divorce.
D'autre part, compte tenu de la nature du poste occupé par le requérant, il lui était difficile voire impossible de trouver un nouveau poste en dehors de l'Eglise employeur. »
« Une vertueuse opposition entre vie privée et professionnelle »
Tout ça se passe en Allemagne, qui ne connaît pas de réelle séparation entre l'Etat et l'Eglise. Mais qu'en est-il en France, pays de la laïcité ?
Emmanuelle Lafuma explique que pour la CEDH et les juridictions allemandes, le salarié, parce qu'il travaille dans une entreprise de « tendance » (Eglises, organisations publiques ou privées dont l'éthique est fondée sur la religion ou les convictions), accepte une réduction de certains de ses droits et libertés. Ce qu'en théorie le juge français ne tolère pas :
« En matière de vie privée du salarié, le droit français s'est construit autour d'une vertueuse opposition, fondamentale, entre vie professionnelle et vie personnelle du salarié . Dans sa vie personnelle, le salarié, d'une part, ne souffre aucune réduction de ses droits et libertés, d'autre part, ne peut être sanctionné. »
Si la vie personnelle a créé un « trouble caractérisé au sein de l'entreprise » -arrestation de Jean-Luc Delarue pour usage de stupéfiant, violence sur la fille d'une locataire de son employeur, conflit d'intérêts pour Florence Woerth- le licenciement pour « cause réelle et sérieuse », mais pas disciplinaire, est possible.
En revanche, le harcèlement (sexuel) de ses collègues par un journaliste (on ne citera aucun nom) en dehors de ses heures de travail ne constitue pas une faute grave selon la justice, notamment parce que,
« les gestes reprochés à ce journaliste ne s'étaient pas produits sur le lieu de travail mais au domicile d'une de ses collègues. »
Reste à savoir si l'adultère peut être un jour considéré dans l'Hexagone comme « un trouble caractérisé ». Ce qui pend plus sûrement au nez de salariés français, serait une validation par la CEDH d'un licenciement pour raisons idéologiques.