17 juin 2011

Heureux à en mourir - Achille Weinberg, article Psychologie

Les pays les plus heureux sont ceux où l’on se suicide 
le plus ! Tel est l’étonnant paradoxe mis au jour par 
une équipe de chercheurs britanniques et américains.

Depuis quelques années, les cartes du bonheur se sont multipliées. Elles classent les pays en fonction du niveau de bien-être ressenti par leur population. Par exemple en Europe, les populations nordiques – Suède, Norvège, Danemark – éprouvent un bien-être subjectif bien supérieur à celui ressenti par celles des pays du Sud.


Mais ces classements ont aussi révélé un paradoxe : dans des pays où il fait apparemment bon vivre, le taux de suicide est également très élevé. Ainsi, des pays comme le Canada, la Suisse, l’Irlande ou le Danemark, bien classés dans l’échelle du bonheur, sont aussi des pays où le niveau des suicides est parmi les plus élevés. Les nations les plus heureuses seraient donc celles où l’on se suicide le plus !


Face à cet étonnant constat, une équipe de chercheurs a cherché à savoir s’il n’y avait pas là un biais statistique lié à des modes de calcul différents des suicides selon les pays. Ces chercheurs, britanniques et américains, ont donc repris le problème sur un seul et vaste territoire : celui des États-Unis et à partir d’une vaste enquête impliquant plus de 1 million de personnes réparties sur tout le territoire. Or la corrélation se vérifie toujours ! Par exemple, l’Utah, en tête des 52 États américains dans les enquêtes de « life-satisfaction », arrive en 9e position pour son taux de suicide. À l’inverse, l’État de New York, qui est 45e pour ce qui est du bien-être ressenti de sa population, est aussi celui qui a le plus bas taux de suicide de tout le pays.


Les chercheurs ont encore voulu creuser l’analyse en cherchant à neutraliser statistiquement les différences de population (âge, niveau de revenu, composition ethnique…) afin de rendre les populations étudiées plus homogènes. Mais même avec ces ajustements statistiques, le paradoxe persiste. Ainsi, après ajustement, Hawaii se classe 2e en terme de « life-satisfaction » mais son taux de suicide est le 5e. Le New Jersey, où il ne semble pas faire bon vivre – 47e rang –, occupe également le 47e rang en ce qui concerne le taux de suicide.


À quoi cet étrange phénomène est-il donc dû ? Les chercheurs eux-mêmes ont du mal à l’expliquer. Stephen Wu, de l’université Hamilton (États-Unis), qui a fait partie des auteurs de l’enquête, suggère une hypothèse liée à la comparaison sociale. « Les gens malheureux qui vivent dans un petit paradis ressentent encore plus durement leur malheur. » Et c’est ce contraste entre leur situation et celle des gens qui les entourent qui pourrait augmenter la tendance au suicide.

 

Mary C. Daly, Andrew J. Oswald, Daniel Wilson et Stephen Wu, « Dark contrasts: The paradox of high rates of suicide in happy places », Journal of Economic Behavior & Organization, vol. LXXVIII, n° 3, à paraître.

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