Si vous en avez la curiosité, remontez aux premiers billets du blog en février et mars 2007, vous verrez que le ton de ces billets est souvent celui-ci : renvoyant à mon livre La crise du capitalisme américain qui venait alors de paraître, je dis : « Regardez ! Vous voyez que j’avais raison de prévoir une crise d’une ampleur inouïe ! ». Mon premier billet s’appelle d’ailleurs de manière un peu triomphaliste : « Le déclenchement de la crise du capitalisme américain ».
Mon ton était sans doute excusable : mon manuscrit achevé au printemps 2005 avait dû attendre près de deux ans avant d’être publié, et durant cette période, j’ai souvent désespéré qu’il le soit jamais.
Le petit jeu de la prévision juste qui débouche sur la reconnaissance d’avoir eu raison m’a rapidement lassé et il débouche aujourd’hui sur l’écœurement pur et simple. La raison n’en est pas très compliquée : si j’annonçais les catastrophes à venir, ce n’était pas pour devenir le Nostradamus des temps modernes : c’était pour lancer des cris d’alarme dont j’espérais qu’on tiendrait compte. Ma satisfaction aurait été dans le fait que mes prévisions ne se réalisent pas, parce que mes avertissements auraient été non seulement pris au sérieux (ils l’ont souvent été), mais auraient conduit à ce que des mesures soient prises qui en empêchent la réalisation (ce qui ne fut pas le cas) : les politiques suivies ont été celles d’une tentative pathétique de reconstruire à l’identique un système bon en réalité pour la casse, complétées d’atermoiements indéfiniment renouvelés.
Remontez cette fois au mois de février de l’année dernière. Le 3, sur France 24 : « Je dis qu’il y a à nouveau un petit jeu sur les Credit-default swaps (CDS). Cette fois, ce n’est plus 1) Bear Stearns, 2) Lehman Brothers, 3) Merrill Lynch, c’est 1) Grèce, 2) Portugal, 3) Espagne ». Le 4, à Ce soir ou jamais, mon engueulade avec Éric Woerth, où je lui dis que tout cela servira de prétexte pour la suppression du bouclier social. Le 8 février, dans mon billet sur BFM, intitulé « Cronos dévorant l’un de ses enfants » : « Certaines de ces firmes s’assurent contre un risque qu’elles courent réellement si elles possèdent de la dette souveraine de la Grèce, du Portugal ou de l’Espagne. Mais d’autres ont une position « nue » sur des CDS et parient cyniquement sur leur perte ». Toujours le 8, dans ma chronique du Monde–Économie, intitulée « La dette est-elle un boulet ou un prétexte ? » : « La crise a produit une pléthore de faits invalidant le bien-fondé de la déréglementation et de la privatisation prônées par le libéralisme radical qui prit son essor initial dans l’Allemagne d’après-guerre pour s’épanouir ensuite en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, avant de trouver son expression consommée dans le traité de Lisbonne… Mais qu’importe : les faits pèsent pour si peu ! » Etc., etc., comme je l’ai dit : « jusqu’à l’écœurement ».
Je n’aurai pas eu le plaisir d’influer sur le cours des événements, juste celui d’avoir prédit correctement les catastrophes à venir. Il faut se contenter des satisfactions qu’on peut.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
14 juin 2011
Blog de Paul Jorion » PRÉVOIR JUSTE, JUSQU’À L’ÉCOEUREMENT = il se prend la grosse tête le Paul Jorion la !
via pauljorion.com
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