Ayant récemment repris des études de droit par correspondance, je viens de terminer un cas pratique. Je viens de poster ma plainte contre Brice Hortefeux pour entrave à la justice et atteinte à son indépendance…. Comme ce n'est pas compliqué à faire et que ça ne coûte que le prix du recommandé, 6,10 euros, voici la procédure !
Rappelons d'abord que Brice Hortefeux vient à peine d'être à nouveau condamné pour atteinte à la présomption d'innocence (après avoir été déjà condamné pour injure raciale). Mais il est toujours au gouvernement.
Dans tout autre pays moderne, un chef de gouvernement qui voit un de ses ministres reconnu coupable d'atteinte à la présomption d'innocence se serait posé la question de le débarquer. Mais en France, il est maintenu à son poste et en charge des 800 000 gardes à vue inconstitutionnelles.
Dans tout autre pays moderne, un ministre reconnu coupable de racisme aurait démissionné. Mais en France, il gère les forces de l'ordre et est donc responsable des contrôles au faciès.
Alors, jamais deux condamnations sans trois ?
De quoi s'agit-il ?
Cette plainte fait suite au communiqué de presse du ministère de l'Intérieur qui avait estimé qu'un jugement pouvait « légitimement apparaître comme disproportionné ».
Maître Eolas résume bien l'affaire :
« Rappelons que dans cette affaire, des policiers ont, au cours d'une poursuite en voiture, renversé un collègue. D'un commun accord, ils ont décidé de tous déclarer à l'unisson que le conducteur du véhicule en fuite avait volontairement renversé ce policier, l'accusant donc d'homicide volontaire aggravé puni de la réclusion criminelle à perpétuité. Le conducteur en question a de plus été roué de coups au sol par trois des policiers lors de son arrestation.
A l'audience, le parquet avait requis de trois à six mois de prison avec sursis. Le tribunal est allé au-delà, prononçant de six mois à un an ferme, et refusant la non-inscription au casier judiciaire de cette condamnation pour cinq d'entre eux, qui seront donc très probablement révoqués de la police. »
Le résumé de Sophia Aram, l'humoriste de France Inter, n'est pas mal non plus. (Voir la vidéo)
Pourquoi porter plainte ?
Il faut savoir qu'en théorie, dans une démocratie, il y a ce qu'on appelle la séparation des pouvoirs (Montesquieu, tout ça). C'est-à-dire que l'exécutif n'empiète pas sur la justice par exemple.
Et là, on a un ministre qui, au contraire, se permet de critiquer une décision de justice. C'est interdit par l'article 434-25 du code pénal :
« Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. »
Mais ça peut arriver à tout le monde de critiquer la justice, non ? En effet, mais c'est autre chose quand on est ministre…. En fait, il y a la critique normale, relevant de la liberté d'expression, et le fait de « chercher à jeter le discrédit publiquement ». Et évidemment, l'impact d'une critique n'est pas la même selon celui qui la lance et selon son audience.
Là, on a un membre de l'exécutif, ministre responsable des forces de l'ordre de surcroît, qui a pris le soin de faire écrire un communiqué de presse, de le relire et l'approuver, puis de confirmer ses propos deux jours plus tard…
Le tout est passé en boucle sur les télés et radios, et on ne compte plus les articles de presse qui ont repris la dépêche AFP mentionnant cette réaction.
On est loin, très loin de la critique au comptoir entre copains, puisque l'audience cumulée atteint plusieurs millions de spectateurs, lecteurs ou auditeurs.
Est-ce vraiment grave ?
Plutôt, oui ! Vendredi 10 décembre après-midi, des policiers en uniforme ont manifesté devant le tribunal de Bobigny. Comme le montrent les images de BFM TV et, comme l'explique Sophia Aram, « ça foutait la trouille, c'était pas un temps à mettre un juge dehors »…
Et que fait le ministre ? Il calme le jeu et ses troupes ? Non. Brice Hortefeux, lui, à 18 heures, au lieu de dire « stop », il « remercie les organisations syndicales de la police nationale pour leur attitude responsable »…
Alors certes, les manifestations de policiers sont de plus en plus fréquentes (normal, vu que malgré les promesses de lutte contre l'insécurité, le gouvernement baisse les moyens consacrés à la police et le nombre d'agents), mais là, c'est du jamais vu.
Et l'ambiance pour l'appel risque d'être explosive. D'ailleurs, puisqu'il s'agit d'un commentaire sur une décision de justice et qu'il y a appel, ces propos sont constitutifs d'un autre délit, celui d'entrave à l'exercice de la justice, selon l'article 434-16 du code pénal :
« La publication, avant l'intervention de la décision juridictionnelle définitive, de commentaires tendant à exercer des pressions en vue d'influencer les déclarations des témoins ou la décision des juridictions d'instruction ou de jugement, est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. »
Evidemment, quand le ministre s'exprime pour commenter et qu'il tolère des manifestations de policiers, « la sérénité des débats risque d'être troublée », comme le dit avec un bel euphémisme le président de la cour d'appel de Paris, Jacques Degrandi.
Et donc, il y a bien un risque de justice à deux vitesses. Celle pour ceux qui sont protégés par l'exécutif (les policiers ou les anciens présidents de la République par exemple), et celle pour les autres.
Enfin, c'est trop facile de balancer une phrase comme ça pour courir après Marine Le Pen et tenter de faire diversion des piteux résultats en matière de sécurité ; il faut assumer.
Je suis convaincu, comment on fait ?
Hé bien, c'est très simple… Il suffit de porter plainte.
En théorie, on peut donc aller au commissariat du coin, mais c'est évidemment compliqué de toquer à la porte d'un pandore pour porter plainte contre son chef… Donc le plus simple, c'est de rédiger un courrier à l'attention du procureur de la République et de l'envoyer par recommandé.
Comme c'était ma première plainte, je suis parti d'un modèle en ligne pris au hasard. Ensuite, il faut surtout bien relire les articles du code pénal qu'on invoque. Exemple avec l'article 434-25 :
« Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende. »
Il y a quelques mots plus importants… qui doivent guider le raisonnement que l'on propose au procureur : « discrédit » et « publiquement », bien sûr. Mais il y a aussi « dans des conditions ». Si Brice Hortefeux avait soufflé son commentaire à l'oreille d'un collègue ministre ça irait, mais là, on doit insister sur l'audience…
Et il y a aussi « chercher à ». Cela signifie que si Brice Hortefeux avait été pris au dépourvu, ou était revenu sur ses propos par exemple, on pourrait dire qu'ils ne tombent pas sous le coup de cet article. Là, on est tranquille, vu que c'est un communiqué de presse (donc mûri). Et qu'en prime, le ministre condamné récidiviste a récidivé ses propos deux jours plus tard :
« Ces propos, je les confirme, les revendique et les assume. »
Mais le droit, je n'y connais rien
Un point important : nul n'est censé ignorer la loi, mais heureusement ça ne vaut pas dans ces cas-là. Donc si vous ne connaissez pas tous les termes juridiques ou le bon texte à invoquer, ce n'est en théorie pas très grave, le procureur complètera au besoin pour vous.
Essayez juste d'être précis, d'appuyer vos dires sur des sources (il faut tout mettre en annexe ; j'en ai mis onze). Cela dit, pour attaquer un ministre, mieux vaut quand même relire un peu son texte…
Donc vous expliquez tous les faits avec le maximum de détails et vous finissez par :
« En conséquence, je porte plainte contre Brice Hortefeux, domicilié place Beauvau [ou contre X si vous ne connaissez pas l'auteur des faits ou si vous avez une incertitude, mais là c'est facile ! ] pour atteinte à l'indépendance de la justice (c'est mieux d'indiquer l'infraction si vous la connaissez). »
Et pour être sur, vous rajoutez : « Et toutes autres qualifications qui pourraient se révéler utiles ». Comme ça, c'est au procureur d'aviser et vous pourrez compléter par la suite si besoin. Envoyez en recommandé avec les annexes et c'est bon !
C'est quoi la suite ?
C'est au procureur de la République d'aviser… D'après Service-Public.fr, il peut :
- classer sans suite mais il faut motiver la décision ;
- citer directement Brice Hortefeux : si l'affaire est simple, le procureur peut procéder à une citation directe et saisir directement le tribunal. Il convoque le plaignant pour le jour de l'audience où l'affaire sera examinée ;
- ouvrir une information judiciaire : le procureur demande alors la désignation d'un juge d'instruction pour recueillir tous les éléments utiles à la manifestation de la vérité. Dans ce cadre, le plaignant peut être convoqué par le juge d'instruction ou par les experts.
Donc réponse l'année prochaine. Peut-être que d'ici là, conformément aux engagements sur la « République irréprochable », le Président l'aura remercié… Mais malheureusement peut-être pas…
NB (précision importante) : ne l'imitons pas, respectons la présomption d'innocence ! Donc jusqu'à la décision, si décision il y a, Brice Hortefeux a certes été condamné pour injure raciale et atteinte à la présomption d'innocence en première instance, mais est bien présumé innocent des deux autres délits dont je l'accuse : atteinte à l'indépendance de la justice et entrave à l'exercice de la justice.
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