La presse a dans notre pays un grand pouvoir, un contre-pouvoir diront certains. Un nouveau « Scoop » lancé par le Nouvel Observateur défraye la chronique : selon un livre écrit par MM. Even et Debré, “Plus d’un médicament sur deux serait inutile voire même inefficace, 20% mal tolérés, 5% potentiellement dangereux” et, fait incroyable, “75 % sont remboursés par la sécurité sociale.” Evidemment une telle révélation ne peut que faire frémir les français qui tous, passé un certain âge, utilisent au moins une thérapeutique, qui pour traiter une hypertension, un mal de dos, ou un cancer. Aucun traitement n’est épargné. Evidemment si tel est le cas, ce qu’affirment en tout cas les deux auteurs, ce n’est ni plus ni moins qu’une dénonciation salutaire d’un complot mondial mêlant les « agence du médicament » de tous les pays, industrie pharmaceutique, et politiques de tous bord, sans épargner les millions de patients non éclairés qui, à travers le monde, acceptent de se laisser berner sans sourciller.
D’autres se chargeront peut-être de relire les 900 pages de ce dernier ouvrage afin d’y pointer les éventuelles erreurs et approximations scientifiques qui conduiront peut-être des patients à cesser des traitements qui pouvaient leur être utiles. Les médecins et pharmaciens de première ligne, au contact quotidien de malades réels, seront les premiers à juger de l’existence ou non de telles conséquences.
Mais puisque M. Even se pose en donneur de leçon d’une éthique scientifique et morale, il serait peut-être nécessaire de se poser factuellement la question de la valeur de la parole scientifique de M. Even qui se présente aujourd’hui comme « président de l’institut Necker » une association loi 1901 sans aucun lien avec la faculté de médecine du même nom, mais capable d’entretenir la confusion dans l’esprit d’un lecteur, d’un auditeur ou d’un téléspectateur ignorant de la chose.
Le père de Philippe Even était pneumologue, chef du service de pneumologie à l’hôpital Laennec. Le Pr Jacques Chrétien, un clinicien brillant et pneumologue reconnu pour sa lutte acharnée contre la tuberculose lui succéda. Lui-même cèdera ensuite son poste au fils de son prédécesseur. Philippe Even fut nommé professeur en 1966 alors que, selon ses propres termes il n’avait «encore fait aucun travail important» (site histrecmed). Une analyse de la banque de donnée des publications scientifiques internationales Pubmed (Even P), indique qu’il publia au cours de sa carrière quelques dizaines d’articles scientifiques dont beaucoup dans des revues françaises de petit impact factor mais qu’il ne fut jamais associé à aucune recherche ou découverte d’envergure. Il essaya pourtant.
« La démarche intellectuelle des chercheurs fondamentalistes me plait davantage que les discussions de mes collègues médecins qui m’ennuient » Philippe Even-site histrecmed
En 1985, la maladie qui fait la une de tous les journaux du monde, c’est le SIDA. Cette maladie est identifiée en juin 1981 aux Etats-Unis par le centre de contrôle des maladies d’Atlanta. L’agent pathogène, le virus du SIDA (VIH1) est isolé en février 1983 par le professeur Luc Montagnier et son équipe de l’Institut Pasteur, une découverte majeure. Le 29 octobre 1985, M. Even, et deux autres médecins de l’hôpital Laennec, Jean-Marie Andrieu, cancérologue, et Alain Venet, immunologiste, tiennent une conférence de presse où ils annoncent tout simplement avoir découvert un traitement du SIDA : « Nous avons ouvert une nouvelle voie thérapeutique qui est d’un intérêt particulier » offrant « un espoir raisonnable de guérison » (écoutez un interview audio de M. Even de 1985).
Le monde scientifique resta circonspect face à cette utilisation des médias pour annoncer les résultats d’une expérimentation débutée seulement quelques semaines auparavant et n’ayant, au moment de son annonce, aucune conclusion concrète.
En fait cette petite équipe emmenée par M. Even avait mis en place une expérimentation sauvage chez au moins 10 êtres humains atteints par le virus VIH, en ne respectant aucune règle scientifique ni éthique : ils avaient administré à ces patients déjà immunodéprimés, la ciclosporine, un médicament immunosuppresseur, qui a pu précipiter le décès de patients dont le système immunitaire était déjà affaibli par le virus VIH et souffrant pour certains d’infections concomitantes.
La commission nationale d’éthique (présidée à l’époque par le professeur Jean Bernard), qui doit valider tout protocole de recherche chez l’homme n’avait pas été consultée. Le consentement éclairé des patients n’avait pas non plus été recueilli. Par ailleurs, à cette époque, la ciclosporine ne pouvait être dispensée qu’au sein des trente-cinq services de transplantation d’organes français et son usage était extrêmement contrôlé. En aucun cas, l’équipe de M. Even n’aurait du disposer de ce médicament.
Fait aggravant, la conférence de presse qui allait annoncer au monde la découverte d’une “nouvelle voie thérapeutique” dans le traitement du SIDA avait été donnée au sein même du ministère des Affaires Sociales (qui exerçait la tutelle sur la Santé), dirigée à l’époque par la ministre Georgina Dufoix qui donc cautionnait cette recherche (et sera plus tard impliquée dans l’affaire du sang contaminé).
Le 11 novembre 1985, le premier des patients traités par M. Even décède (en fait, l’un d’eux serait décédé avant même la conférence de presse mais il n’en sera pas question alors). Ce premier patient “officiellement” décédé était un homme homosexuel âgé de 38 ans qui avait reçu de la ciclosporine depuis 3 semaines. Dans un entretien téléphonique donné au journal américain The New York Times, qui en publiera des extraits le 12 novembre 1985, M. Even persistait : «Le programme expérimental a montré des résultats prometteurs et il est élargi». M. Even y justifie la mort du patient et déclare qu’il s’agissait d’un «cas désespéré», affirmant que sa mort n’était pas inattendue, étant donné le stade avancé des infections multiples du patient.
Malgré déjà au moins deux décès, l’absence de déclaration de l’essai clinique et l’impossibilité légale pour ces médecins de prescrire de la ciclosporine, aucune autorité scientifique éthique ou politique de l’époque ne tenta d’interrompre l’essai connu de tous depuis la conférence de presse ; ”Ce que je peux dire concernant les 10 premiers patients que nous avons suivis, c’est que les résultats confirment entièrement les espoirs que nous avions” explique encore M. Even dans l’article du NYT.
La ciclosporine, connu pour être immunosuppresseur, agirait selon lui en paralysant les cellules infectées par le virus du sida, prévenant la propagation de la maladie et permettant au corps de reconstruire son système immunitaire. Cette idée avait germé suite à la lecture de la thèse encore non publiée d’un chercheur, David Klatzmann, qui émettait l’hypothèse que la ciclosporine pourrait être utile à l’étude des mécanismes du sida in vitro. C’est peut-être cet engouement pour «La démarche intellectuelle des chercheurs fondamentalistes» qui poussa M. Even à passer de l’hypothèse in vitro à l’homme sans s’encombrer des conséquences?
Aucune sanction ne sera prise contre les médecins. Aucune famille ne portera plainte. Aucune enquête ne sera ouverte pour déterminer comment la ciclosporine, cet immunosuppresseur, a pu être prescrite hors AMM à des patients immunodéprimés, le Conseil de l’Ordre des médecin n’intentera aucune action de radiation. Cet épisode de la médecine française est dorénavant connu sous le nom de “l’affaire de la ciclosporine”. (Pour en savoir plus sur cette “Affaire de la ciclosporine”, lisez l’article “L’espace public de la recherche médicale. Autour de l’affaire de la ciclosporine” de Nicolas DODIER, disponible en ligne et téléchargeable gratuitement)
Trois années après cette épopée scientifique qui donna au monde entier une triste image de la recherche française, M. Even fut promu au rang de doyen de la faculté Necker.
L’équipe de médecins publia un article en 1988, soit 3 ans plus tard, intitulé « Effects of ciclosporin on T-cell subsets in human immunodeficiency virus disease » qui indiquait que la ciclosporine avait été administrée à 33 patients contaminés par le virus du Sida. Leur conclusion était que «Ces résultats devraient stimuler la recherche biologique ainsi que la recherche clinique chez des patients séropositifs pour le VIH avec l’objectif de retarder ou de prévenir la survenue du SIDA ». En 2008, un chercheur américain, Martin Markowitz évalua de nouveau l’intérêt de la ciclosporine, cette fois de manière légale, chez des patients séropositifs pour le HIV et recevant un traitement antirétroviral. L’essai conclut que la ciclosporine n’apportait aucun bénéfice virologique ou immunologique.
Cette première sortie médiatique de M. Even fut également la dernière en tant que médecin.
« Les campagnes anti-tabagiques se fondent trop souvent sur des mensonges comme le danger du tabagisme passif qui est, en fait, inexistant » Philippe Even-site histrecmed
Parmi ses autres prises de positions, aujourd’hui oubliées par les médias, mais encore identifiables sur internet, figure celle, intéressante, venant d’un ex pneumologue, ex professeur des hôpitaux de Paris, dénonçant les campagnes anti-tabac. Ces campagnes anti-tabac se fondent selon lui «trop souvent sur des mensonges comme le danger du tabagisme passif qui est, en fait, inexistant. Les arguments utilisés sont en fait destinés à mobiliser les non-fumeurs pour tenter de culpabiliser les fumeurs et cela en biaisant la réalité ». Quelles réactions ont pu avoir des fumeurs à cette prise de position? En 2001, les dangers du tabagisme et du tabagisme passif étaient pourtant déjà bien connus. Ils seront confirmés par l’OMS qui estimera que le tabagisme passif cause 600 000 morts par an (The Lancet, nov 2010).
« L’industrie pharmaceutique assume désormais une recherche de caractère industriel qui permet d’étudier en un jour autant de molécules qu’on en étudiait en dix et il est vrai que la découverte constante de nouveaux médicaments a valu un certain nombre de prix Nobel à ses chercheurs » Philippe Even-site histrecmed
La nouvelle sortie médiatique de MM. Even et Debré, liée à la publication de leur livre, le “Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles et dangereux”, traitée comme un scoop d’envergure, n’a en fait, rien de neuf. Les fondements de la démonstration des auteurs avaient déjà été publiés par les mêmes dans un rapport publié en Janvier 2011, “RAPPORT DE LA MISSION SUR LA REFONTE DU SYSTEME FRANCAIS DE CONTRÔLE DE L’EFFICACITE ET DE LA SECURITE DES MEDICAMENTS”. En résumé, ce rapport de 83 pages, également disponible en ligne, dénonçait l’ensemble de la chaine du médicament, de leur création, à leur commercialisation, en passant par les multiples étapes de la vie d’un médicament : études tronquées, chercheurs incompétents et corrompus par l’industrie, revues médicales complaisantes et infiltrées, agences du médicament incapables, gouvernements complices, etc. De ce maelstrom d’incompétences et de corruptions, ressortait évidemment que des centaines de médicaments étaient finalement inutiles, destinés uniquement à générer du chiffre d’affaire pour une industrie pharmaceutique cynique. Un complot à l’échelle mondiale auquel il était temps de mettre fin.
- “Selon notre propre analyse des 4.500 médicaments sur le marché, hors génériques, (…) il y a sur les 1.120 molécules originales, 100 (9%) molécules majeures, 210 (19%) molécules importantes, 250 (22%) molécules d’effet généralement modeste, 170 (15%) d’effet mineur et 390 d’effet nul, soit 560 molécules originales (50%) sans intérêt, comme le sont la majeure partie des 170 associations et les 160 produits divers homéopathiques, oligothérapiques et phytothérapiques, dont beaucoup sont encore remboursés au minimum à 15 et 35%, voire 65%” (page 13).
- “12% (des médicaments), soit 140 molécules originales en 200 versions commercialisées, sont à manipuler avec plus d’attention encore, à cause des accidents sérieux ou graves, et même parfois mortels, qui ont été rapportés”.
On regrettera évidemment qu’en 83 pages, qu’aucunes de ces assertions ne soient argumentées ni scientifiquement référencées, un oubli finalement logique si les revues médicales sont si corrompues.
L’ensemble de cette théorie du complot est très inspirée des arguments développés par une ancienne rédactrice en chef du New England Journal of Medicine, Marcia Angell, dans un ouvrage publié en 2005 et dont M. Even assura la traduction française. L’ouvrage ne rencontra alors aucun succès médiatique. Le moment était probablement mal choisi.
Il y a une dizaine d’années, la parole scientifique de M. Even, âgé alors de 68 ans, était toute autre. Il concluait un interview en ces termes : “En France, on peut dire que l’Etat a tué l’industrie pharmaceutique. A partir de 1945, il a voulu contrôler les dépenses de santé en bloquant le prix des médicaments, depuis lors, ceux ci sont payés à l’industrie une fois et demie moins qu’en Allemagne ou qu’en Angleterre. L’industrie s’est adaptée à cette situation. En estimant trop élevé le cout de développement de nouveaux médicaments elle a fait l’impasse sur le long terme. Moyennant quoi l’Etat a perdu sur tous les tableaux puisque non content de torpiller une industrie, dans le même temps les Français sont devenus les premiers consommateurs mondiaux de médicaments (troisième marché mondial). Le fond du problème est que depuis un demi siècle l’Etat n’a jamais pris en compte le fait que la santé est une priorité pour les Français et que celle ci a un prix qu’il ne faut pas chercher à raboter au risque de réaliser de fausses économies. D’ailleurs, avec 8,5% du PIB, il n’y a qu’en Angleterre où les dépenses de santé soient inférieures au taux français. Dans tous les pays développés ces dépenses oscillent entre 10 et 11% du PIB. En France, les dépenses de santé représentent 800 milliards par an, mais on oublie que notre système fait vivre 2 millions de personnes et qu’il suscite des recettes liées à la production de biens et de services. Le vrai déficit, c’est ce qu’on doit importer, c’est-à-dire tous les équipements et tous les médicaments qu’on ne produit pas en France, ce qui représente un trou de 100 milliards par an seulement. Et, si nous en sommes là, c’est parce qu’on a tué l’industrie pharmaceutique, comme celle de l’imagerie médicale et autres équipements“. Une argumentation contraire à l’actuelle mais pas plus référencée.
La parole scientifique de M. Even est donc bien virevoltante. L’avenir dira si cette dernière sortie médiatique de M. Even était la bonne.
17 février 2013
Quelle est la valeur de la parole scientifique de M. Philippe Even ? | DocBuzz - l'autre information santé
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