Cette nouvelle vague de populisme est d'autant plus dangereuse qu'elle prend ses racines dans une triple crise.
Une crise industrielle d'abord, qui sonne le glas de la domination sans partage de l'Occident. Au tournant des années 1990, et malgré la résistance des peuples, la décision a été prise de délocaliser une part grandissante de la production industrielle vers la Chine et les pays émergents. Ivres de notre sentiment de puissance, nous pensions nous assurer ainsi des profits maximum et les prix les plus bas. Aux pays ateliers, croyait-on, les productions de base, à nous les technologies innovantes. Comme toutes les entreprises monstrueuses l'objectif a été atteint au-delà de toutes espérances : en vingt ans l'Occident a perdu sa primauté industrielle. Les capitaux ont afflué vers la Chine, l'Inde ou le Brésil. Ces pays, engagés dans une course sans merci à l'innovation, se posent désormais en maîtres de l'économie mondiale. L'Occident est retranché sur ses ultimes bastions (les technologies de l'information de la côte ouest américaine et l'industrie mécanique allemande), sous morphine de la dette et des déficits mais surtout sans capacité de sursaut moral, car gangréné par la montée d'inégalités au terrible relent d'Ancien Régime. Comme dans les années 1930, nous n'avons pas vu monter les périls, nous avons sous-estimé la volonté de puissance de nos concurrents et nous arrivons épuisés, arrogants et mal préparés pour la bataille essentielle de ce début du XXIe siècle, celle de la prééminence industrielle.
Dans un Occident qui perd pied, l'Europe y ajoute une deuxième crise liée à l'ambigüité des principes sur lesquels elle s'est construite. Nous n'avons jamais tranché entre la logique fédérale des Etats-Unis d'Europe et celle d'une zone de coopération entre nations souveraines. Sans avoir clarifié ce dilemme, la création de l'euro a été dictée par une volonté politique : ancrer l'Allemagne dans l'Europe après la réunification. On a cru qu'il était possible de concilier fédéralisme monétaire et maintien d'une souveraineté budgétaire, à peine tempérée par des critères de convergence, presque immédiatement non respectés. La phrase d'Helmut Kohl, au moment de la création de l'Euro, illustre cette logique : "la décision est prise. C'est une question de guerre et de paix. Et c'est à vous financiers et économistes de la faire fonctionner". Rétrospectivement, on mesure les raisons de la réticence des Français à ratifier le Traité de Maastricht. La politique monétaire d'inspiration allemande, conduite par la BCE (euro fort ou plutôt cher et lutte contre l'inflation) a laminé le modèle industriel des pays du Sud (Italie, Espagne) fondé sur des dévaluations compétitives.
L'Allemagne, qui a imposé ses règles, se trouve confrontée au piège de l'euro : puisque les pays affaiblis par sa politique monétaire ne peuvent plus honorer leurs dettes, c'est d'abord à elle de les garantir, ce qui révolte son peuple qui depuis dix ans a accompli un immense effort de redressement de sa compétitivité. De sommets en sommets, on gagne du temps mais on ne décide rien, faute d'intérêts convergents et de leadership. Mais le compte à rebours de l'explosion de l'euro est lancé, car la BCE ne pourra pas continuer à jouer les pompiers et cela d'autant que se profile en 2012 pour l'Italie un mur de plus de 200 mds d'euros de dettes à refinancer.
Comme dans une tragédie grecque, les effets de la troisième crise, celle de 2008 ont créé une situation de non retour. Les Etats se sont précipités dans des plans de sauvetage et de relance économique, qui ont porté les déficits et la dette à des niveaux probablement jamais atteints en temps de paix. Vue des peuples, la situation est intolérable : aucune leçon n'a été tirée de la crise pas même le retour à la séparation entre les banques de dépôts et les banques d'investissement (une proposition présentée comme révolutionnaire par Arnaud Montebourg mais qui n'est jamais que le retour au Glass Steagall Act américain des années 1930 ou à la loi française de 1945 abrogée…en 1984). En revanche, c'est aux peuples que la note est présentée à travers des plans d'austérité et de hausse des impôts d'une grande violence.
Les attaques des marchés (perte du triple A américain, baisse des bourses, défiance vis à vis de la dette des pays du sud) ne sont pas spéculatives mais politiques. Elles sanctionnent l'absence de stratégie crédible et coordonnée de sortie de crise. Entrant étonnement en résonnance avec le mouvement des indignés ou celui d'"Occupy Wall Street", tout cela annonce une sanction électorale à l'échelle mondiale alors que se profilent les élections en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Espagne et en Italie.
La campagne présidentielle qui s'ouvre ne doit conduire à flatter ce populisme qui a désormais trouvé avec l'anti-mondialisation son corpus idéologique, au risque de créer pour demain toutes les conditions d'un embrasement social. Aucune expérience d'économie fermée ne s'est traduite dans l'histoire par une société prospère. Qui peut croire que nos voisins européens nous suivront dans cette voie alors que l'Allemagne et la Scandinavie ont prouvé que l'on peut se remettre au premier plan d'une économie mondialisée en s'en donnant les moyens. Peut-on raisonnablement imaginer une solution purement française alors que des millions de salariés travaillent pour l'exportation et que nous n'avons aucun ressort puissant de croissance (ni rattrapage économique en perspective, ni boom démographique, ni percée technologique). Dans le même temps, les vainqueurs d'aujourd'hui comme la Chine rencontrent des tensions salariales et sont déjà confrontés à de lourds problèmes liés au vieillissement et au poids de la dette intérieure.
Il n'est pas question non plus de sombrer dans l'angélisme de l'économie de marché qui, par essence, profiterait à tous. Comme en d'autres temps, il faut faire le choix de se rassembler, de s'armer face aux nouveaux défis du monde et de remettre en cause des tabous de droite comme de gauche.
Les dirigeants qui auront réussi à se sauver ou ceux qui prendront les commandes seront, en effet, confrontés à des difficultés jamais vues depuis la seconde guerre mondiale. En France, nous ne redresserons pas nos comptes publics sans une réforme fiscale qui permettra une plus grande justice mais, ne nous mentons pas, se traduira par un alourdissement des prélèvements sur les Français.
Nous ne pourrons pas non plus fermer les yeux sur l'impasse des 35 heures, qui nous conduit à financer de manière permanente par du déficit et de la dette (au moins 15 milliards d'euros par an), le coût pour les entreprises d'une réforme vieille de près de 15 ans et qui a raté son objectif de création d'emplois. Nous ne résorberons le déficit de l'assurance-maladie et ne répondrons aux problèmes de la dépendance qu'en travaillant plus pour cotiser plus.
De même, nous ne remettrons d'aplomb notre appareil productif qu'en restaurant le rôle de l'Etat comme acteur du développement industriel, par l'instauration d'une TVA sociale, qui est une forme offensive de rééquilibrage des conditions du commerce mondial, ou en nous posant la question du recentrage de EDF sur une activité strictement nationale, afin de garantir à nos entreprises le prix de l'énergie le plus bas, voire et si cela est nécessaire pour atteindre cet objectif en décidant de sa renationalisation à 100%.
Dans le domaine européen, des révisions radicales s'imposent aussi. Nous ne sortirons pas de la crise de l'Euro par des mesures techniques mais par le choix de l'achèvement de la construction européenne. Il ne peut pas exister de monnaie unique sans convergence budgétaire et, à terme, fiscale, c'est-à-dire sans fédéralisme économique. Alors, il sera possible de mettre en place les instruments de sortie de crise que sont les Eurobonds. L'Europe doit aussi se donner les moyens du défi industriel et notamment faire de sa politique monétaire et de son droit de la concurrence des instruments de croissance et de conquête de marchés.
Plutôt que de sombrer dans cette forme masquée de défaitisme que symbolise le thème du protectionnisme, remettons dans notre vocabulaire politique ces mots forgés par le Conseil National de la Résistance à la Libération : Union nationale, ambition industrielle, effort.
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