Quand vous présentez une ordonnance, il arrive que le pharmacien vous demande de repasser quelques heures plus tard, le temps qu’il passe commande auprès du « grossiste répartiteur » qui lui livre les médicaments. Mais parfois, le pharmacien ne peut se procurer un médicament car celui-ci est « en rupture de stock ». Cela touche des médicaments dont le prix est élevé souvent prescrits à l’hôpital, délivrés dans les officines de ville et destinés à un nombre restreint de patients. Il s’agit principalement des antirétroviraux utilisés dans le traitement du sida ou encore des médicaments contre l’asthme,
Ces ruptures de stocks sont liées à des quotas instaurés par les laboratoires. L’objectif affiché est de rationaliser la production, et le laboratoire est censé se baser sur l’historique des ventes des officines. Mais la libre circulation des marchandises permet à ces grossistes d’exporter : ils vendent en Europe certains médicaments chers mais dont le prix est moins élevé en France que chez nos voisins. Et c’est là que les choses commencent à coincer et certains médicaments à manquer dans l’Hexagone…
En 2007, l’Autorité de la concurrence, saisie par les grossistes répartiteurs, avait estimé que la pratique des quotas n’était pas « anticoncurrentielle ». Mais l’Autorité avait aussi jugé que ce système était caractérisé « par une faible transparence » et demandé à quatre laboratoires qu’il soit « plus fluide, flexible et transparent ». Aujourd’hui, l’Autorité de la concurrence nous assure que « normalement, il n’y a pas de rupture de stock », car le système s’est assoupli… Ce n’est pas l’avis de Bernard Montreuil, co-président du syndicat des pharmaciens du Rhône: «Le phénomène est récurrent et a tendance à devenir de plus en plus fréquent ». Quant à la transparence, on en est loin : parmi les laboratoires et grossistes répartiteurs contactés, seule la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), à laquelle adhèrent sept grossistes répartiteurs représentant 97,5 % du marché, a accepté de nous parler.
« Il n’y a aucune transparence des laboratoires sur les quotas. Certains nous préviennent qu’ils en font, d’autres pas et on le découvre à la fin du mois. Il y a des laboratoires avec lesquels cela se passe bien, mais certaines filiales françaises de laboratoires étrangers n’ont aucun pouvoir », estime Emmanuel Dechin, secrétaire général de la CSRP. Soulignant que les exportations sont « légales », il assure que les grossistes répartiteurs répondent « à une demande ». Mais « les laboratoires estiment que nous ne devrions pas exporter. Ils considèrent que, quand on exporte, on obtient une marge plus élevée et que cette marge devrait leur revenir », explique Emmanuel Dechin. Avec le système des quotas, les laboratoires veulent donc limiter le volume des exportations. Pour le secrétaire général de la CRSP, il n’y aurait pas d’abus de la part de ses adhérents : « Ils ne vont pas se mettre dans la situation de ne plus avoir de produit. » D’une part parce que « commercialement parlant », cela leur nuirait, d’autre part parce qu’ils n’assurent plus ainsi « l’obligation de service publique » à laquelle ils sont soumis (lire ci-dessous). Le représentant de ces « full-liners » de la répartition pharmaceutique pointe du doigt les « short liners », des entreprises qui voient le jour uniquement pour faire de l’export de médicaments chers et ne disposant que d’une gamme très courte de produits. Ils détiendraient 2 à 3 % du marché, selon la CRSP. L’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), qui a recensé 40 grossistes répartiteurs en France, a mené sept inspections sur la période 2009-2010, qui ont abouti à la suspension d’autorisation d’une entreprise qui avait exporté la totalité des antirétroviraux dont elle disposait. Des contrôles sont aussi menés par les agences régionales de santé et l’une d’elle vient de « prendre des mesures coercitives » contre un grossiste répartiteur, indique l’Afssaps sans vouloir rentrer dans le détail.
Les associations de malades du sida tirent la sonnette d’alarme auprès des autorités de santé. Une réunion s’est tenue le 26 janvier à l’Afssaps sur ce problème. « Nous allons demander aux laboratoires de diffuser l’information sur leurs procédures de dépannage, et rappeler aux gens leurs obligations de favoriser le marché français », explique Stéphane Lange à l’Afssaps. À défaut de régler le conflit commercial entre laboratoires et grossistes répartiteurs, ces quelques mesures viendront peut-être rappeler aux deux parties que derrière leur guéguerre il y a des patients souffrant de lourdes pathologies aggravées par chaque rupture de traitement.
Sylvie Montaron
30 mars 2011
Les obscures ruptures de stocks de certains médicaments - Le Progrès
via leprogres.fr
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