La baisse tendancielle du taux de profit est selon Marx la raison pour laquelle le capitalisme est condamné à terme. La brutalité de la crise née en 2007 a conduit un certain nombre d’économistes marxistes à se repencher sur cette question, et en particulier, Michel Husson, qui a mis en évidence deux éléments très importants pour la comprendre : d’une part, aucune baisse du taux de profit n’a été observée durant la période qui va du début des années 1980 à 2007, mais bien au contraire une hausse, en tout cas dans un ensemble de pays constitué des États-Unis, de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni ; il existe d’autre part une erreur conceptuelle dans la manière dont ce que Husson appelle la « vulgate marxiste » pose le problème de la baisse tendancielle du taux de profit : le même facteur, le gain de productivité, se trouve à la fois en numérateur et en dénominateur dans l’équation utilisée, annulant l’effet de cette variable dans le calcul (Husson 2010a : 8).
D’autres économistes marxistes ont émis des doutes sur les calculs de Husson, mais sans jamais entamer, me semble-t-il, la validité générale de ses conclusions. Il met en effet en évidence l’augmentation considérable de la part des dividendes au cours des années récentes, et il confirme par les chiffres qu’il rassemble la stagnation, voire la régression de la part des salaires dans le partage du surplus – phénomène connu par ailleurs (voir en particulier un autre de ses textes : Husson 2010b). Il écrit par exemple, à propos de la rentabilité des grands groupes français sur la période 1992 – 2007 :
« … l’augmentation de la rentabilité est due pour l’essentiel à un recul considérable de la part des salaires dans la valeur ajoutée : elle baisse de 11,6 points sur la période retenue [de 66,4 % à 54,8 %]… [une] augmentation des dividendes versés qui passent de 2 % à 6,2 % de la valeur ajoutée. Même en retirant du profit les intérêts (en baisse) et les impôts (en hausse), la part du résultat brut, autrement dit des profits après impôts et intérêts (mais avant amortissements), augmente de 9,5 points » (Husson 2010a : 4-5).
Comme le souligne Husson, la hausse du taux de profit est évidente, même si l’on se contente de la faire apparaître indirectement comme résidu, à partir simplement de la baisse de la part des salaires et de la hausse de la part des dividendes.
La discussion entre Husson et ses critiques fait apparaître un autre élément dans l’appréciation de l’évolution du taux de profit : la révérence excessive de certains économistes pour le texte de Marx, révérence qui s’assimile au dogmatisme et qui fige malheureusement le débat dans certains cercles marxistes. La question qui se pose est en effet celle-ci : est-il possible que le capitalisme soit à l’agonie, alors même qu’on n’observerait pas en ce moment de baisse tendancielle du taux de profit ? Et la réponse de certains économistes marxistes à cette question est non. Pour eux, l’hypothèse posée par Marx que la mort du capitalisme viendra de la baisse tendancielle du taux de profit étant vraie (sans qu’elle ait jamais pu être vérifiée empiriquement jusqu’ici bien sûr), la hausse du taux de profit constatée actuellement exclut que nous puissions assister en ce moment à cette mort. Une telle position est tout simplement dogmatique : elle érige en dogme une hypothèse de Marx et se ferme à l’observation.
Marx avait apparemment raison en prédisant la mort inéluctable du capitalisme, sa mémoire en tant qu’économiste serait-elle ternie si le capitalisme devait mourir pour une autre raison que celle qu’il avait déterminée il y a cent cinquante ans ?
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Husson, Michel, « Le débat sur le taux de profit », Inprecor n°562-563, juin-juillet 2010aHusson, Michel, « Le partage de la valeur ajoutée en Europe », La Revue de l’Ires n°64, 2010b
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26 novembre 2010
Blog de Paul Jorion » MARX ET LA BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT
via pauljorion.com
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