08 septembre 2013

L'Union européenne est-elle efficace contre la mafia ? - États membres


éopolitique du crime. Plus d’une centaine de policiers sont sur les dents. La salle a été passée au peigne fin par le service de déminage et les chiens spécialisés dans la détection des explosifs restent à proximité, au cas où. Une douzaine de personnalités sont attendues pour répondre à la question : l’Europe colonisée par la mafia ? Plusieurs des invités bénéficient en permanence d’une protection rapprochée, comme le procureur national anti-mafia Piero Grasso et l’eurodéputé italien Rosario Crocetta. Leurs gardes du corps passent leur temps à observer la salle – pleine de 450 personnes – et les alentours, en contact permanent via leur oreillette.

Italie, Florence (envoyé spécial)
BIENVENUE à Florence, dans le Nord de l’Italie, pays membre fondateur de l’Union européenne… Nous sommes à un colloque organisé par la Fondation anti-mafia Antonino Caponnetto, du nom d’un magistrat qui s’est distingué dans la lutte contre la mafia.
De quoi s’agit-il ? Une mafia est une organisation criminelle qui repose sur un engagement réciproque de ses membres et des règles internes. La violence est un moyen utilisé aussi bien pour acquérir des richesses que pour protéger l’organisation par l’intimidation. La mafia profite de la faiblesse de l’Etat pour s’imposer en jouant un rôle social, politique et économique. Elle développe des liens avec la classe politique régionale et nationale, notamment pour obtenir un accès privilégié aux marchés publics, voire bénéficier de l’impunité judiciaire. En soutenant financièrement certains hommes politiques durant leur campagne électorale, la mafia se place dans l’ombre du pouvoir, au plus près de la prise de décision mais derrière un rideau de fumée. Les ressources de l’organisation mélangent des activités illégales et légales, pour blanchir l’argent du crime.
Le procureur anti-mafia Piero Grasso ouvre le colloque : « En fragilisant les entreprises et en multipliant les faillites, la crise économique qui frappe l’Europe depuis 2008 offre de multiples opportunités aux mafias. En effet, il leur devient plus facile que jamais d’acquérir à bas prix des entreprises pour blanchir l’argent du crime et s’insérer dans l’économie légale. Lorsque leur affaire bat de l’aile, les entrepreneurs sont tentés de ne pas se poser trop de questions sur l’origine de l’argent et les conditions induites par cet investissement "tombé du ciel". D’autant que les moyens financiers de la mafia sont tellement importants qu’ils permettent à l’entreprise investie par la criminalité organisée de procéder à d’importants investissements qui assèchent la concurrence. Les sociétés contrôlées par la mafia deviennent les plus compétitives pour remporter les appels d’offre. Résultat, l’entreprise dans laquelle la mafia a investi se retrouve rapidement en situation de quasi monopole ».
Une mafia dispose toujours d’un ancrage territorial d’origine mais cela ne l’empêche pas d’agir très au-delà.

Quand les mafias s’exportent en France

Ainsi, la France est depuis longtemps investie par des groupes mafieux étrangers, notamment italiens, russes, arméniens, géorgiens, roumains, bulgare… Les policiers ont récemment mis la main sur une équipe de trafiquants de cocaïne missionnée par la mafia calabraise pour faire passer le produit entre l’Espagne et l’Italie en passant par le Sud de la France. La mafia russe s’installe depuis longtemps sur le littoral méditerranéen français et y achète de l’immobilier avec des valises de cash, sans que l’on sache d’où vient l’argent. La gendarmerie française a récemment démantelé un réseau roumain qui s’était une spécialité de voler le fret dans les camions de l’autoroute A1. L’Hexagone est aussi devenu une sorte de zone de stockage rapide et de transit pour la cocaïne et les drogues de synthèse venues de Pologne ou des Pays-Bas. La France se trouve aussi à la croisée des chemins des filières d’immigration clandestines tenues par les mafias. Les mafias chinoises et la mafia napolitaine collaborent pour fabriquer et écouler des produits de contrefaçon du luxe français.

Des succès récents en Italie

Pour autant, les services de police ne restent pas les bras croisés, comme en témoigne ces faits récents.
Le 19 novembre 2011, cent dix personnes ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 16 ans de prison dans le cadre d’un maxi-procès anti-maffia à Milan, dans le nord de l’Italie. Elles appartenaient à la mafia calabraise, la Ndrangheta. Originaire des régions pauvres du sud de l’Italie, la Ndrangheta a fait des régions prospères du nord du pays « le poumon économique » de ses activités criminelles.
Le 7 décembre 2011, Michele Zagaria, chef du clan Casalesi – le plus redouté de la Camorra napolitaine - a été arrêté dans un bunker souterrain. Il était recherché depuis plus de 15 ans. Il a été accusé d’association de malfaiteurs de type maffieux, de meurtre, d’extorsion et de vol à main armée. Le chiffre d’affaire de la Camorra napolitaine avoisinerait 30 milliards d’euros par an. Spécialisées dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, ses entreprises obtenaient des marchés dans toute l’Italie.
Le 14 décembre 2011, les carabiniers de Palerme (Sicile, sud de l’Italie) ont lancé un coup de filet contre les clans de la mafia palermitaine qui a conduit à l’arrestation de 22 personnes accusées d’association mafieuse, d’extorsion via l’impôt mafieux connu sous le nom de « pizzo », de trafic de drogue et de vol. Parmi les personnes arrêtées figure un policier à la retraite qui aurait par le passé averti un des boss de la mafia, Calogero Lo Presti, des enquêtes en cours.
Il reste cependant du chemin.

Que faire ?

Le procureur anti-mafia Piero Grasso considère qu’il est possible de faire plus et mieux : « Nous avons une partie du diagnostic et quelques moyens mais on ne s’en sert pas suffisamment parce que nombre d’accords importants pour mettre en œuvre une lutte contre la mafia à l’échelle européenne n’ont pas été ratifiés par tous les Etats membres. En Italie, l’auto-blanchiment n’est pas sanctionné par la loi. Face à une organisation criminelle très structurée, nous n’arrivons pas à mettre en place une organisation anti-mafia aussi structurée et cohérente. L’Italie ne fait toujours pas partie de l’Office européen de police (Europol), l’organisme chargé de la coopération en matière répressive entre les Etats membres de l’UE ! Certes, le procureur anti-mafia italien que je suis obtient au cas par cas des arrestations de criminels par d’autres polices européennes, mais cela repose sur la bonne volonté. Nous avons une marge de progression. »
L’eurodéputé italien Rosario Crocetta prend maintenant la parole : « Il faut désormais penser la lutte contre les mafias en termes globaux. Par exemple, il importe de se pencher sur les liens entre les mafias européennes et chinoises. En outre, cessons d’envisager de faire rentrer dans l’Union européenne des pays des Balkans comme le Monténégro qui reste incapable de lutter contre leur crime organisé ! Ils sont particulièrement actifs dans le trafic d’héroïne. La criminalité organisée nous oblige à réfléchir à une riposte globalisée. Il faut frapper les organisations criminelles au portefeuille, en confisquant leurs avoirs criminels. Soit nous pensons désormais en termes globaux et internationaux, soit nous laissons tomber, et basta ! »
Au nombre des progrès souhaitables, il est possible d’envisager que la loi italienne sur la séquestration des bien mafieux devienne une norme européenne. Cela permettrait d’attaquer la mafia au portefeuille et de l’affaiblir en conséquence. Il importe, aussi de lutter plus fermement contre la corruption, une pratique qui fait le jeu de la mafia et nuit à la démocratie. Pays fondateur de l’Union européenne, l’Italie reste un des plus corrompus. Et l’UE a été rejointe par des pays qui pour certains sont particulièrement inquiétants en la matière : la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie… Ces deux derniers pays sont particulièrement actifs dans les activités criminelles des Balkans qui se trouvent à proximité de l’UE.
Il manque encore à ce jour un projet européen pour lutter contre la criminalité organisée. Dans ce contexte de crise économique, lutter contre les mafias servira non seulement à ressouder le tissu social mais aussi à réduire un des freins qui ralentissent la croissance.
Copyright 2012-Verluise/Global Brief
Cet article a été initialement publié sous le titre "L’Europe colonisée par la mafia ?"dans la version papier de la revue canadienne Global Brief, winter 2012, pp. 26-27.


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