Comment faire de la publicité pour un médicament quand la loi vous l'interdit ? Grâce aux campagnes de sensibilisation dites de « disease awareness ». Cas d'école avec celle de la firme américaine Pfizer intitulée « Dos au mur », en ce moment sur tous vos écrans.
Pfizer a choisi Franck Lebœuf, footballeur devenu comédien, pour incarner sa nouvelle campagne « d'information » sur la spondylarthrite ankylosante, dont les spots TV et radio seront diffusés pendant cinq semaines. (Voir la vidéo)
Sur le Net, un buzz interactif, relayé -moyennant rémunération- par quantité de bloggeurs, à l'instar d'A la portée.com, redirige l'internaute vers le site principal « Dos au mur ».
Voici pourquoi, moi-même atteinte de spondylarthrite ankylosante, suis gênée par cette campagne. Trois recettes classiques sont utilisées.
Exagérer la prévalence de la maladie
La campagne entretient la confusion avec un banal mal de dos un peu tenace… Aucune mention n'est faite de ce qui signe la spondylarthrite ankylosante (SPA) de façon si caractéristique.
Alors qu'il existe un test très simple et spécifique de la SPA, les critères d'Amor, le site propose un test maison qui ne détecte que grossièrement non pas la SPA mais les rachialgies inflammatoires.
N'importe qui peut dès lors se sentir visé par cette campagne, ce qui est bien le but : 70% des Français se plaindraient de maux de dos.
Exagérer la gravité de la maladie
Le site vante surtout une classe de médicaments, les « anti-TNFalpha », ici désignés sous le terme plus générique et sympathique de « biothérapie ».
Une première vidéo livre le témoignage d'un patient. Tony a une forme de SPA particulièrement grave, peu représentative par sa sévérité -seules 25% à 30 % des SPA sont graves et invalidantes- et surtout sa résistance aux traitements de première ligne (15% des patients selon l'avis de la Haute autorité de Santé du 25 février 2004).
Les anti-inflammatoires et traitements dits de fond sont dès lors présentés comme inefficaces, au contraire des anti-TNFalpha qui ont bouleversé sa vie.
Les anti-TNFalpha peuvent avoir des effets spectaculaires, mais au détriment des défenses immunitaires du patient : ils augmenteraient le risque d'infections et de cancers.
La Haute Autorité de Santé ne les indique d'ailleurs qu'en cas d'échec des autres traitements, uniquement pour les cas les plus sévères, c'est à dire moins de 1 patient sur 6.
Exagérer l'intérêt du traitement à promouvoir
La seconde vidéo est une interview du professeur René-Marc Flipo, secrétaire général de la Société française de rhumatologie (SFR), pavoisée de logos Pfizer.
Le professeur Flipo s'était déjà illustré en 2002, pour la firme Merck, en vantant auprès des médecins l'innocuité du Vioxx, retiré du marché en 2004 après avoir provoqué plus de 30 000 décès aux Etats-Unis.
Pour Dosaumur.com, il fait la promotion de la maladie et « surtout, surtout » des anti-TNF alpha. Avec une carotte inédite et choquante :
« Cette maladie peut donner ce que l'on appelle le remboursement à 100% ».
Si en plus l'essai est gratuit…
Genèse de la philanthropie opportune de Pfizer
Pfizer aime les spondylarthritiques depuis octobre 2009, lorsque le laboratoire a finalisé une fusion historique à 68 milliards de dollars avec le laboratoire Wyeth.
Pour un retour sur investissement rapide, il a misé aussitôt sur la promotion d'Enbrel, un marché de 6,45 milliards de dollars pour l'année 2009, à 1 117 euros la boîte de 4 seringues en France, soit 13 000 euros l'année de traitement.
En 2009 déjà, la campagne « Stop rhumatismes », conçue par la même agence, avait ciblé dans un premier temps la polyarthrite rhumatoïde et le segment des femmes seniors, avec Claude Brasseur en tête de gondole. Nul doute que la prochaine campagne ciblera le psoriasis chez les enfants et adolescents via leurs mamans ménagères de moins de 50 ans.
On peut regretter que la Société française de rhumatologie apporte sa caution à ces campagnes, censément à son initiative. Il est clair que c'est le payeur Pfizer qui a conservé la haute main sur le contenu fortement biaisé du message. C'est bien un employé de Pfizer qui collecte votre numéro de portable depuis le site Internet.
« Grâce » à cette campagne, les personnes spondylarthritiques n'auront peut-être plus à épeler le nom de leur maladie, mais elles n'en sortiront pas gagnantes.
Quand le terme de SPA sera galvaudé, quand la moindre dorsalgie sera étiquetée SPA débutante, nous serons renvoyés à ce que beaucoup d'entre nous ont trop connu : le statut de malades imaginaires.
Photo : capture d'écran du site Internet de la campagne « Dos au mur ».
02 juin 2010
J'en ai plein le dos de la pub Pfizer de Franck Lebœuf | Rue89
via rue89.com
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