14 mars 2010

La presse peut-elle être sauvée ? : LesInrocks.com

La presse peut-elle être sauvée ?

14/03/2010

Connivents, consensuels : on a pris l’habitude de désigner les médias comme de nouveaux chiens de garde. Mais, entre usure d’un modèle et difficultés économiques, la presse peut-elle être sauvée ?

Critiquer les médias : tout le monde se prête aujourd’hui au jeu post-debordien de la critique du spectacle médiatique. A l’intérieur comme à l’extérieur du système, les best-sellers de Pierre Bourdieu, Sur la télévision (1996), et de Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde (1997), ont laissé leur empreinte.

 

Pour se prémunir, les médias de masse font appel à des médiateurs, les télés produisent des émissions de décorticage, les journaux redoublent de rubriques spécialisées et l’internet fourmille de sites énervés… A une critique plus ou moins neutralisée par son intégration au système se mêle, à la périphérie, un jeu de massacre ciblant les médias comme le mal à abattre. Confrontée à une sous-capitalisation, un lectorat volatile et à la concurrence de l’internet, la presse est en crise. Mais l’on peine à savoir, de la critique ou de la crise, laquelle est la cause de l’autre. En tout cas, comme l’analyse très bien Critiquer les médias ?, le récent numéro de la revue Mouvements, un fil relie tous les discours distincts : le journalisme va mal.

 

De sorte qu’il est très difficile de distinguer une critique des médias qui ne soit pas, d’une manière ou d’une autre, une critique du journalisme comme corps de métier, comme pratique culturelle et d’écriture” précise Samira Ouardi. Cette critique se déploie selon trois axes principaux. Tout d’abord, la critique de l’économie politique des médias, dans la lignée d’un Noam Chomsky avec sa thèse sur la “fabrication du consentement”. Ensuite, la critique de la langue médiatique, de ses formes et de ses contenus, qui remonte aux années 1960 avec les travaux de Guy Debord ou de Roland Barthes. Et enfin, la critique sociologique des médias, foisonnante en France, qui met souvent l’accent sur les effets des connivences entre les pouvoirs politico-économiques et les journalistes. Le Monde diplomatique ou l’association Acrimed (acrimed.org) sont les plus présents sur ce front.

 

La machinerie rédactionnelle, conditionnée par les réseaux de pouvoir mais aussi par l’appauvrissement financier d’une grande partie des médias, inspire ainsi de nombreux travaux, à la fois universitaires et militants. Certains, comme Acrimed ou arretsurimages.net (dont le discours s’est radicalisé depuis que l’émission n’existe plus à la télé), pointent les dérapages, erreurs ou emballements à l’oeuvre quotidiennement.

 

Pour leur part, Pierre Tévanian et Sylvie Tissot sur leur site Les mots sont importants (lmsi.net), dénoncent les effets rhétoriques de la langue journalistique comme, par exemple, l’“euphémisation” de la violence des dominants. D’autres, comme le réseau Indymédia, le Bondy Blog (yahoo.bondyblog.fr) ou La Télé libre (latelelibre.fr) forment un réseau médiatique alternatif et participatif, fondé sur l’open publishing (la publication ouverte). Une manière de rompre avec le journalisme professionnel et de construire un rapport plus horizontal à l’information.

 

Mais, sous l’effet conjugué de la crise économique et de l’usure d’un modèle journalistique d’après-guerre, la radicalité de la critique des médias n’est plus l’apanage des militants alternatifs. La majorité des journalistes, y compris au coeur du système dominant, semblent de plus en plus conscients que la fragilité de leur position, par-delà les facteurs purement économiques, dépend aussi de la pertinence de leur fonction.

 

La critique des médias subsistera tant que le système restera soumis à son absence de réflexion sur lui-même. En cause également, le peu de pluralisme et le manque d’indépendance de la presse, comme le soulignaient l’an dernier les Assises du journalisme ou l’Appel de la colline impulsé par Mediapart. Critiquer les médias ? Oui, mais pour mieux les sauver.

 

Mouvements : Critiquer les médias ? (n° 61, janvier-mars 2010, 180 pages, 15 €)

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