29 avril 2013

Montaigne sur ordonnance

L'Anglaise Sarah Bakewell dit son amour pour l'auteur des "Essais" dans un livre très séduisant, "Comment vivre ?", déjà un best-seller dans de nombreux pays.


Montaigne sur ordonnance
Le meilleur ami que vous ayez jamais eu», «un compagnon de vie» : ces commentaires enthousiastes glanés sur Amazon ne font pas référence au dernier smartphone ou à un animal de compagnie, mais bien à l'œuvre d'un homme qui a vécu au XVIe siècle. Cet homme, c'est Michel de Montaigne ; son livre, ce sont les Essais. Dès la première page, Montaigne lui-même conseille à son lecteur de passer son chemin, d'employer son temps à des activités moins frivoles et moins vaines que la lecture de sa prose. Cet avertissement ressemble à celui qu'on trouve aujourd'hui sur les paquets de cigarettes : à bien y réfléchir, les Essais présentent du reste le même risque d'addiction.

L'écrivain anglaise Sarah Bakewell fait partie de ces lecteurs qui sont «tombés dedans». Alors qu'elle cherchait un livre pour l'occuper pendant un trajet en train, elle achète les Essais, un peu par hasard. Quelques années plus tard, conquise comme tant d'autres avant elle, elle consacre une biographie à Montaigne intitulée Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse. Le livre a été traduit en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, au Brésil, en Corée, et maintenant en France. De quoi faire encore grossir les rangs des accros.

Un puissant anxiolytique

La magie de Montaigne, que décrit parfaitement Sarah Bakewell, c'est de donner l'impression à chacun de ses lecteurs qu'il est en train de lui parler de lui-même. La Bruyère, Flaubert, La Fontaine, Virginia Woolf, George Sand, Stefan Zweig : tous ont eu le sentiment que Montaigne leur tendait un miroir. Jusqu'à Pascal, «lecteur obsessionnel», exaspéré par la légèreté de Montaigne et par son empressement à accepter l'imperfection humaine, mais obligé de reconnaître : «Ce n'est pas dans Montaigne mais dans moi que je trouve tout ce que j'y vois.» Lire Montaigne, écrit Bakewell, c'est encore et encore «éprouver maintes fois le choc de la familiarité, au point que les siècles qui le séparent du nôtre sont réduits à néant»

Montaigne était pourtant un homme de son temps : un contemporain du massacre de la Saint-Barthélemy qui n'a jamais renié sa foi catholique, sans doute autant par prudence que par conviction. Un habitué des épidémies de peste - celle de Bordeaux, en 1585, emporta 14 000 personnes, le tiers de la population. Il fréquenta la cour, et fut un ami personnel d'Henri de Navarre, le futur roi Henri IV. Quoiqu'il ait été magistrat et, plus tard, maire de Bordeaux, il n'eut jamais besoin de travailler, ayant hérité du domaine de son père. Sa vie, en somme, fut bien différente de celle du commun. Pourtant. «Comme tout le monde, Montaigne buta sur les grandes perplexités de l'existence, écrit Sarah Bakewell. Comment affronter la peur de la mort, comment se remettre de la mort d'un enfant ou d'un ami cher, comment se faire à ses échecs, comment tirer le meilleur parti de chaque instant en sorte que la vie ne s'épuise pas sans qu'on l'ait goûtée.» Ce sont ces petites et ces grandes «perplexités» que Montaigne a décrites comme aucun autre, «saisissant le sentiment proprement moderne de ne jamais vraiment savoir où l'on est, qui l'on est et ce qu'on est censé faire». Désespérant ? C'est tout l'inverse. Par son incroyable propension à embrasser la condition humaine jusque dans ses moindres difficultés, Montaigne rassure. Comment vivre ? agit même comme un puissant anxiolytique. Disponible, sans ordonnance, dans toutes les bonnes librairies.

Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse, de Sarah Bakewell, Albin Michel, 488 p., 23,49 €. Montaigne sur ordonnance

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