27 janvier 2014

Faut-il en finir avec les oméga-3 ? | Passeur de sciences

Il ne se passe pas un mois
sans qu'une étude vienne nous vanter les mérites des oméga-3, ces
célèbres acides gras que l'on retrouve dans certains poissons et huiles
végétales. La dernière en date
est parue le 22 janvier dans la revue Neurology et
montre, à l'occasion du suivi de femmes ménopausées depuis plusieurs
années (et donc d'un âge relativement avancé), la corrélation suivante :
chez les personnes ayant un haut taux sanguin d'oméga-3, cerveau et
hippocampe présentent un volume plus important que chez celles avec un
taux bas. Précisons que l'atrophie cérébrale est une manifestation de
l'âge souvent associée à des démences comme la maladie d'Alzheimer et à
la détérioration des fonctions cognitives. Précisons aussi qu'une
corrélation n'indique pas forcément une relation de cause à effet et, à
ce sujet, je vous renvoie à mon billet sur le lien entre consommation de chocolat et tueurs en série...
Quoi qu'il en soit, cette étude a provoqué la publication d'articles
plus ou moins prudents dans la presse grand public, avec des titres
comme "Le poisson aiderait le cerveau à mieux vieillir" (Top Santé) ou "Les effets du poisson sur le cerveau : en manger préserve-t-il de la maladie d'Alzheimer ?" (USA Today).


Tout ceci ne serait
guère intéressant si, pour reprendre la formulation du début de ce
billet, il ne se passait pas un mois sans qu'une étude vienne... mettre
en doute les mérites des oméga-3. Le plus "amusant", dans le cas
présent, c'est qu'il s'agit parfois des mêmes auteurs qui, à partir des
mêmes suivis épidémiologiques, publient des études contradictoires et
ce, bien sûr, dans les mêmes revues ! L'article du 22 janvier a ainsi
été précédé, en septembre 2013 et déjà dans Neurology,
d'un autre papier de la même équipe (certains noms diffèrent mais une
grande partie des auteurs ont participé aux deux travaux) concluant à
l'absence de lien entre le taux sanguin d'oméga-3 et le déclin des
fonctions cognitives chez les femmes âgées. On pourrait croire que les
données proviennent de deux sources différentes puisque l'une parle du
projet Women's Health Initiative Memory Study (Whims) et l'autre du
projet Women's Health Initiative Study of Cognitive Aging (Whisca). Mais
en réalité, Whisca est une branche de Whims...


Au-delà de cette contradiction, qui n'est peut-être
qu'une conséquence cocasse de la course à la publication, le fameux
"publie ou péris !" que j'ai souvent évoqué dans ce blog, une question
se pose : faut-il en finir avec les oméga-3 dont on entend parler depuis
une trentaine d'années ? Avant d'aller plus loin, il faut expliquer
brièvement comment ces acides gras ont débarqué sur le devant de la
scène biomédicale, pour le plus grand bonheur des marchands de
compléments alimentaires. Remontons donc aux années 1970 au cours
desquelles des chercheurs danois, travaillant sur les populations
inuites du Groenland, s'aperçurent que celles-ci étaient très peu sujettes aux maladies cardio-vasculaires,
ce qui fut mis sur le compte des oméga-3 puisque leur régime
alimentaire était riche en poissons gras. Le constat fut confirmé peu
après avec une étude japonaise
portant sur quelques dizaines d'habitants de l'île de Kohama, qui
présentaient les mêmes caractéristiques que les Inuits groenlandais. Par
la suite, de nombreux travaux ont commencé à identifier toutes sortes
de bienfaits aux oméga-3, qui sur le système cardiovasculaire, qui sur
le cerveau, qui sur le cancer. Ces acides gras prenaient un faux air de
panacée.


Puis le vent a tourné. Et l'industrie de l'oméga-3,
plus que par telle ou telle étude particulière ne parvenant pas à
trouver de bénéfice à son produit, a surtout été ébranlée par les
méta-analyses qui ont fini par sortir. Une méta-analyse
est une technique qui permet de faire la synthèse des études publiées
sur un sujet précis, ce avec une puissance statistique bien supérieure.
En 2006 est ainsi paru un travail de ce type dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), qui
regroupait 38 articles examinant les effets des oméga-3 sur l'incidence
de différents types de cancer. Au total, l'échantillon comptait plus de
700 000 personnes. Conclusion : "Il n'y a pas grand chose qui suggère que les acides gras oméga-3 réduisent le risque d'un type particulier de cancer", disait l'étude qui jugeait donc inutile la prise de compléments alimentaires à base d'oméga-3 dans ce but.


Finalement, en septembre 2012, la science est
revenue au point de départ de l'histoire, à l'influence de ces acides
gras sur la survenue de pathologies cardiovasculaires. Une autre
méta-analyse, elle aussi publiée par le JAMA,  a
synthétisé les résultats de 20 études regroupant plus de 68 000
individus. Sans voir le moindre impact d'une supplémentation en oméga-3
sur les morts subites cardiaques, les infarctus du myocarde ou les
accidents vasculaires cérébraux (AVC)... Bien évidemment, les
industriels du complément alimentaire et les vendeurs de livres sur le
miracle oméga-3 ont sorti l'artillerie lourde (voir aussi , ou ...)
pour dénoncer une étude pleine de défauts selon eux, tout en ressortant
opportunément les travaux scientifiques allant dans le "bon" sens,
c'est-à-dire le leur.


Le plus grave dans l'histoire n'est sans doute pas là car, si les oméga-3 ne font pas de bien, ils ne font pas de mal non plus (jusqu'à preuve du contraire...). Le plus grave tient à deux choses : d'une part que nombre d'études voient des effets ou des corrélations non confirmés par la suite
et, d'autre part, que nous chérissons l'idée, bien ancrée en nous,
qu'il existe des "super-aliments", des molécules extraites de
l'alimentation, lesquelles, prises en gélules, vont agir sur nous comme
des élixirs sans que nous ne changions rien d'autre à notre mode de vie.
Huile de foie de morue hier, oméga-3 aujourd'hui, resvératrol (dans le
vin rouge...) ou encore extrait de getto,
une plante japonaise... Cela fait vivre les firmes des compléments
"nutritionnels" et vendre des magazines peu regardants sur la valeur
véritable de ces molécules "miracles" (avec une mention spéciale pour Le Point qui semble avoir trouvé là un bon filon).
Mais y a-t-il au fond tant de différences que cela entre notre croyance
dans ces molécules soi-disant validées par la science et l'intérêt de
la médecine traditionnelle chinoise pour la poudre de corne de
rhinocéros ?