09 septembre 2011

L’Art d’aujourd’hui – Le bon grain et l’ivraie | Le nouvel Economiste

Les chemins de l’art contemporain sont multiples, entre autoroutes et nationales, raccourcis et impasses
L'Art d'aujourd'huiROXANA AZIMI – L’arte non e cosa nostra. Il y a de quoi tousser devant le libellé du Pavillon italien conçu par le politicien Vittorio Sgarbi à la Biennale de Venise. Connu pour sa haine de l’art actuel, ce conservateur prétend défier une supposée “mafia de l’art officiel”, qui serait incarnée par la Biennale, en montrant une centaine d’artistes écartés de l’establishment. Et de servir aux visiteurs une batterie d’œuvres médiocres, bavardes, croûteuses, dignes d’un vrai musée des horreurs… L’art contemporain a tellement fragilisé les codes de reconnaissance qu’il a généré des réactions populistes dont cet odieux pavillon n’est qu’un exemple. Pourtant l’art n’échappe pas aux hiérarchies à l’œuvre dans d’autres domaines. Personne ne songerait à confondre musique d’ascenseur et musique de chambre, Marc Lévy et Claude Simon. De la même façon, le peintre Philippe Pasqua n’est pas de la stature d’Arnulf Rainer, de Damien Hirst ou de Lucian Freud, artistes dont il essore l’iconographie ad nauseam.

Confort ou chatouillement ?
Le distinguo semble difficile quand le marché l’entend d’une autre oreille. Ainsi Laurence Jenkell s’est taillé une petite notoriété avec des sculptures géantes représentant des bonbons. Ces berlingots ne dépassent pas le niveau d’une simple mignardise. Un bonbon s’est pourtant vendu en 2009 au prix record de 56 248 euros. En juin dernier, rebelote, une autre friandise a atteint 31 250 euros. Pour la même somme, il est pourtant possible de négocier une œuvre de François Morellet, l’un des artistes français les plus importants, à cheval entre le minimalisme et l’humour dada, et récemment exposé au Centre Pompidou… Bref, la valeur ne repose pas uniquement sur les prix décrochés à l’encan. Jean-Pierre Cassigneul est ainsi l’un des peintres français les plus chers en vente publique. Les portraits à la Van Dongen de cet illustre inconnu frisent les 200 000-300 000 dollars chez Christie’s ou Sotheby’s à New York. Soit bien plus que le prix moyen aux enchères d’un artiste majeur comme Daniel Buren. Cassigneul fait florès sans corpus critique, sans exposition institutionnelle ni soutien de galeries prestigieuses. Il jouit d’un fan club d’acheteurs fortunés, peu soucieux de son manque d’ancrage historique, mais séduits par son aspect décoratif et rassurant. Henri Matisse envisageait bien l’art comme un bon fauteuil enveloppant. Mais la plupart des artistes contemporains veulent bousculer nos repères, en premier lieu les idées de bon goût ou de joliesse. A l’amateur de voir s’il préfère le confort de la rétine ou le chatouillement intellectuel.

Il est fréquent d’ailleurs de commencer par l’un pour succomber à l’autre. Le milliardaire François Pinault a d’abord aimé les œuvres d’un peintre normand, Franck Innocent, avant de devenir un collectionneur de classe internationale. Encore aujourd’hui, il lui arrive d’acquérir des artistes secondaires qu’il ne montre jamais au grand jour. Bref, chacun a droit à son Mickey à roulettes, tant qu’il en mesure les limites créatives. Ainsi ne faut-il pas confondre les toquades qui nous désenchantent au retour des vacances, et les œuvres avec lesquelles on fait un bout de chemin, celles qui ne s’épuisent pas au premier regard. “On achète ce qu’on peut, ou ce qu’on mérite, estime le collectionneur Antoine de Galbert, fondateur de la Maison Rouge. A vrai dire, collectionner est un mode de vie, une aventure, l’expression d’un doute et surtout une manière de mieux se connaître. Il faut acheter réellement et tout bêtement ce qu’on aime, avec, à la clé, une chance infime et finalement secondaire d’être reconnu ou rattrapé par l’histoire.”

Avec les oreilles ou les yeux ?
Ce qu’on aime, certes, mais avec discernement. Ainsi faut-il séparer le bon grain de l’ivraie dans la production d’un artiste. “La pire des choses est d’acheter avec ses oreilles et pas avec ses yeux, en prenant une pièce moyenne ou mauvaise d’un artiste célèbre, insiste le collectionneur Steve Rosenblum, cofondateur du site Internet Pixmania. On cherche à être assuré, car beaucoup de paramètres entrent en jeu, les institutions, les collectionneurs, les critiques, les maisons de ventes. Si on achète comme les autres, on pense ne pas pouvoir se tromper : c’est bien l’erreur du collectionneur débutant ou confirmé.” Ainsi, si le travail du Britannique Damien Hirst fut intéressant à ses débuts, il s’est depuis noyé dans une surproduction insipide. Le trublion a viré à la rock star boulimique. D’autres se sont mués en créateurs mondains, avides de séduire les notables. C’est le cas de Bernard Venet qui a troqué son costume d’artiste conceptuel talentueux pour la casaque du Vulcain moderne, produisant à satiété Arcs et Lignes indéterminées. Les créateurs peinent parfois à tenir sur la durée… Politiques et corrosifs dans les années 1960, Bernard Rancillac ou Peter Klasen n’ont cessé de se répéter. Aussi mieux vaut-il se reporter sur leurs pièces du début que leurs resucées actuelles. Il faut toutefois distinguer la répétition née de l’usure, et celle inscrite d’emblée dans le programme conceptuel d’un artiste comme Niele Toroni, lequel aligne depuis quarante ans des points monochromes espacés régulièrement tous les 30 cm.

On l’aura compris, il y a artiste et artiste. Il y a tout autant galerie et galerie. Une enseigne saisonnière d’Honfleur ou de Noirmoutier ne rivalise pas avec des structures qui s’échinent à placer leurs poulains dans les meilleures collections privées ou institutionnelles et accompagnent réellement la production des œuvres. En revanche, se restreindre aux éléphants du marché ne suffit pas. Car bien souvent les découvertes s’effectuent dans les jeunes galeries et celles de taille intermédiaire. Certaines œuvres peuvent d’ailleurs passer inaperçues dans une galerie de taille modeste et exploser dans une autre. Les acheteurs branchés ne font pas toujours le siège du galeriste parisien Jean Brolly. Voilà quelques années, celui-ci présentait en vain pour 18 000 euros les toiles froissées de l’Américain Steven Parrino. Il a suffi que la succession de ce créateur décédé en 2005 soit captée par la puissante galerie new-yorkaise Larry Gagosian pour que ses prix frisent le million de dollars

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