28 juin 2011

Qu'est-ce qu'un terroriste ? - Xavier Molénat, article Philosophie

Quelle différence morale peut-on faire entre un acte terroriste et un acte de guerre légal ? La différence n’est pas si évidente, comme le montre le philosophe Nicolas Tavaglione. Tout d’abord parce que les définitions usuelles du terrorisme sont mal fondées. Le terrorisme se caractériserait-il par les moyens (attentats à la bombe, par exemple) ou les tactiques (sélection aléatoire des victimes) qu’il emploie ? Mais à cette aune, il engloberait un événement comme les émeutes de banlieue de 2005, où des voitures étaient brûlées au hasard. Faut-il plutôt le distinguer par le fait qu’il poursuit des buts politiques et idéologiques, et son ambition de faire régner la terreur ? On peine alors à voir ce qui le distingue d’une guerre conventionnelle. Et si l’on met en exergue la nature non étatique des acteurs, ce sont les guerres de libération qui, là, basculent dans le terrorisme.


Pour pallier ces insuffisances, N. Tavaglione avance une définition qu’il veut « descriptive » et moralement impartiale. Selon lui, il faut entendre par terrorisme « l’usage d’une force extrême potentiellement mortelle inspiré par des raisons politiques et accompli contre un ou plusieurs individus sans uniforme militaire par un ou plusieurs individus sans uniforme militaire ». Pourquoi donc inclure cette finale et surprenante « clause vestimentaire » ? Parce qu’au regard du droit international, le combattant légal est un individu identifiable par son uniforme ou un « signe distinctif fixe et reconnaissable à distance » (Convention de Genève). Par le simple port de l’uniforme, vous voici autorisé à tuer un porteur d’uniforme, lui-même autorisé à vous abattre légalement, quand bien même sa cause serait injuste. Le terrorisme serait donc blâmable dans son refus de cette double « charge de l’uniforme ».


N. Tavaglione retourne finalement le questionnement : pourquoi le simple fait de porter un uniforme permet-il d’échapper à la morale ordinaire qui condamne l’homicide ? On ne peut guère invoquer la légitime défense : d’une part, le droit international autorise à tuer même en l’absence de menaces. D’autre part, il ne tient pas compte de la moralité des acteurs. Le problème, analyse le philosophe, est que cette charge de l’uniforme est de source politique : la collectivité a attribué aux combattants le droit de tuer en toute impunité. Mais de quel droit pouvons-nous autoriser qui que ce soit à violer une norme aussi fondamentale que l’interdiction de l’homicide ? En quoi le fait d’agir en communauté permettrait-il de s’émanciper de la morale ordinaire ? La réflexion sur le terrorisme met ainsi en évidence « la précarité des conceptions reçues de la violence admise »

 

Nicolas Tavaglione, « Les habits de la mort. Sur la différence morale entre terrorisme et guerre légale », Raisons politiques, n° 41, février 2011.

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