20 mai 2011

Tout le monde savait ! par Paul Jorion

Les langues se délient, et elles se délient pour dire : « Tout le monde savait ! »

Vraiment, « Tout le monde le savait ? », et c’est pour cela que vous personnellement, vous vous taisiez ? Pourquoi parler maintenant alors : si tout le monde le savait, tout le monde le sait toujours, et rien n’a vraiment changé.

Et les langues qui se délient, de se défendre alors : « C’était par respect pour la vie privée ! » La vie privée ? Quelle vie privée ? La vie privée du prédateur dans ce cas-là, pas celle de ses victimes, dont vous considériez que leur vie ne vaut pas davantage que celle des petites fleurs qui bordent le chemin et dont Hegel nous rappelle que les « grands hommes » les écrasent par inadvertance. Non : il ne s’agissait pas de votre respect pour la vie privée, il s’agissait de votre admiration pour l’impunité, pour la capacité de celui qui possède le pouvoir et l’argent de faire comme il l’entend : pour cette propension dont parle cette fois Adam Smith, à ce que la police et la justice dans nos sociétés, se trouvent par harmonie préétablie du même côté qu’eux.

Un tweeteur chinois écrit : « La politique française est bien trop libre en tolérant que de tels scandales concernant les candidats soient dévoilés, [il] ne bénéficie pas du traitement d’un officiel local chinois ». Autrement dit : en Chine on étouffe les affaires bien plus efficacement qu’aux États-Unis.

On dit : « C’est par pudeur que les victimes ne vont pas se plaindre ». Non : c’est par peur, c’est parce que les petites fleurs qui bordent le chamin savent que si par accident on ne parvenait pas à étouffer l’affaire, ce sont elles qui seraient alors punies, c’est d’elles qu’on dirait : « Elle l’avait bien cherché : elle ne l’a pas volé ! »

« Oui, mais jusqu’ici, il ne s’agissait que de relations entre adultes consentants ! » Même pas : vous ne lisez donc pas les journaux, vous ne regardez pas la télé ? Mais en admettant même : ça veut dire quoi exactement « adultes consentants » ? Tout est rapport de force : un prix est un rapport de force, et parmi les partenaires amoureux, il y en a qui sont bien plus consentants que les autres. Le pouvoir et l’argent, encore une fois.

Un processus « critique », au sens que donnent à ce terme les physiciens, c’est un processus qui conduira un jour ou l’autre à l’effondrement. Il est impossible de savoir quand exactement mais l’effondrement aura bien lieu et le seul souci pour certains (ceux qui diront un jour : « Tout le monde savait ! »), sera de savoir si l’on pourra ou non « étouffer l’affaire ». Et si le responsable se trouve du côté du pouvoir et de l’argent, il n’y a pas d’affaire suffisamment grosse qu’on ne tentera de l’étouffer. Prenez la crise des subprimes : c’était gros, vraiment gros, et on connaissait les coupables, leurs noms s’étalaient à la une des journaux, mais ils étaient du côté du pouvoir et de l’argent, et on ne s’est pas gêné davantage que dans les cas précédents : on s’est tourné vers la victime et on lui a dit : « Tu l’avais bien cherché : tu ne l’a pas volé ! Tu croyais vraiment que tu pourrais vivre indéfiniment au-dessus de tes moyens ! »

Posted via email from hypha's posterous

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