07 mai 2013

"White Flight" : Comment expliquer l’exil des Britanniques blancs de Londres ? | Atlantico


L’exploitation des résultats du recensement de population de 2011 au Royaume-Uni continue de livrer ses secrets. Contrairement à la France qui a opté pour une série d’enquêtes annuelles en remplacement des recensements traditionnels, le Royaume-Uni procède à un recensement exhaustif tous les dix ans. C’est toujours l’occasion de publications nombreuses dans les années qui suivent sur l’évolution démographique du pays.
L’immigration étrangère a été l’une des préoccupations majeures des Britanniques après l’afflux massif des années 2000. Elle le reste, comme le montrent les résultats des élections locales de la semaine dernière dans lesquelles l’UKIP, le parti nationaliste britannique dirigé par Nigel Farage, a emporté 23 % des voix. Entre 2001 et 2011, la population née à l’étranger en Angleterre-Galles a gagné près de trois millions de personnes, soit un accroissement de 63 %. Jamais le Royaume-Uni n’avait connu une immigration de cette ampleur. Le premier ministre David Cameron a promis une réduction importante de l’immigration afin de retrouver le niveau des années 1990 pendant lesquelles le solde migratoire n’était que de quelques dizaines de milliers seulement. Même s’il y arrive, ce qui s’annonce difficile, le visage de la population britannique a d’ores et déjà changé et cette situation est appelée à durer, notamment en raison de la plus grande jeunesse des minorités et de leur fécondité souvent supérieure à celles des Britanniques blancs.
En février dernier, les données publiées sur l’effacement de la présence des Britanniques blancs dans la capitale avait déjà fait la une des journaux. C’est à nouveau le cas avec les résultats d’une étude, apparemment non encore publiée, sur les migrations internes des blancs et sur les concentrations ethniques locales. On parle à nouveau du White Flight pour désigner ces Londoniens qui quittent la capitale. Entre 2001 et 2011 le nombre de Britanniques blancs y a baissé de plus de 600 000, alors même que le nombre de Londoniens s’est accru d’un million. Le nombre des premiers a baissé de 14 % quand le nombre des autres Londoniens augmentait de 56 %. La proportion de Britanniques blancs a ainsi perdu 13 points en dix ans (45 % en 2011 contre 58 % en 2001). La part des minorités s’est donc fortement accrue et pas seulement à Londres.
Eric Kaufmann, auteur de l’étude pour Demos, explique que l’afflux de nouveaux immigrants a très largement surpassé la diffusion des minorités ethniques dans des voisinages où les blancs étaient plus nombreux. On trouve donc à la fois plus de personnes appartenant aux minorités ethniques dans des lieux où tel n’était pas le cas autrefois et des concentrations ethniques accentuées dans les lieux où elles étaient déjà élevées. En 2011, 41 % des non blancs (britanniques et autres blancs compris) vivent dans des circonscriptions dans lesquelles moins de la moitié des habitants sont des blancs, contre 25 % en 2001.
La mobilité plus grande des blancs peut expliquer la mise en minorité des Britanniques blancs à Londres et l’augmentation des concentrations ethniques ailleurs. Il suffit que les logements libérés par des Britanniques blancs ne soient plus occupés par des Britanniques blancs, mais par des immigrants fraîchement arrivés ou des ménages d’enfants d’immigrés pour que la concentration en minorités ethniques s’accroisse mécaniquement. Une étude en Suède a montré que les concentrations ethniques se formaient plus en raison de l’évitement de la part des natifs que d’un départ accéléré de ces derniers. J’ai moi-même étudié la mobilité des natifs et des immigrés dans les communes où la concentration ethnique a beaucoup augmenté entre la fin des années 1960 et la fin des années 1990. La mobilité des natifs, forte sur l’ensemble de la période, n’a pas eu besoin d’augmenter pour provoquer la hausse des concentrations ethniques. Il a suffi que les logements qu’ils ont libérés ne soient plus convoités par des natifs et soient occupés par des immigrés[1]. Trevor Philipps, ancien président de la CRE (Commission for Racial Equality) parle de « Majority retreat » et craint les effets en cascade liés à l’évitement de la part des blancs des lieux où les minorités ethniques s’accroissent.
Cette évolution n’empêche pas certains chercheurs de continuer d’épiloguer, comme lors du recensement précédent, sur la déségrégation en cours au Royaume-Uni à partir d’indicateurs qui ne prennent pas en compte les effets de concentration accrue.
Les indicateurs de dissimilarité qu’ils utilisent examinent seulement si la répartition par origine ethnique par quartier, dans une ville donnée, est proche de la composition à l’échelle de la ville tout entière. Ainsi, même s’il n’y avait plus un Britannique blanc à Londres, cette dernière pourrait n’être pas ségréguée du tout. La composition ethnique de chaque quartier pourrait bien représenter exactement celle de la ville tout entière sans la présence d’aucun Britannique blanc à Londres.

[1] Tribalat M., « Concentrations ethniques et migrations des natifs en  France de 1968 à 1999 », Cahiers de la démographie locale, Neothèque, 2010.


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