07 mars 2011

Le Liberia, entre oncle Tom et oncle Sam | Un racisme à l’image de l’Amérique

En 1847, les «colons», comme on les appelle encore aujourd’hui, formèrent la République du Liberia en s’inspirant du système politique américain —jusqu’à instituer leur propre forme de ségrégation à l’américaine. Les Américano-libériens à la peau claire, arborant souvent chapeau haut de forme et queue de pie dans la chaleur tropicale d’Afrique de l’ouest, écrasaient de leur puissance les «gens du pays» —Africains autochtones à la peau plus foncée qui durent attendre 1904 pour bénéficier de la citoyenneté libérienne. Un vrai cas de pouvoir corrompant les anciens opprimés.

Cette situation perdura longtemps. Le ressentiment bouillonnait tandis que les Américano-libériens, qui ne représentaient qu’une fraction minuscule de la population, dominaient le pays. Puis, en 1980, Samuel K. Doe s’empara du pouvoir lors d’un coup d’État particulièrement atroce (Jack White, du site du groupe Slate The Root, fut témoin à l’époque de l’exécution sur une plage de 13 ministres).

Cet héritage est partout visible au Liberia. Dans le National Hall, où un alignement de portraits présidentiels illustre le complexe du pays en termes de couleur de peau, les nuances évoluent au fil du temps, du clair au foncé, puis entre les deux: du premier président du Liberia, Joseph Jenkins Roberts, dont les gens d’ici aiment à dire qu’il était le vrai fils de Thomas Jefferson, en passant par Doe, le premier président d’origine tribale, puis par le dictateur qui lui a succédé, Charles Taylor, jusqu’à la première présidente, Ellen Johnson Sirleaf, petite-fille d’un immigrant allemand et diplômée de Harvard.

Cet héritage est aussi visible dans la déclaration d’indépendance du Liberia —et dans son drapeau, qui ressemble vraiment beaucoup à celui des États-Unis. Dans les bâtiments publics, où sont exposés bien en vue des tableaux idylliques et autres statues de colons associant leurs forces à celles des autochtones.

On l’entend dans une conférence de l’historien Joseph Saye Guannu, dans laquelle il évoque comment les Américano-libériens «octavons» et «mulâtres» ont mené une guerre politique contre les Américano-libériens «noirs», qui n’étaient pas les fils de propriétaires d’esclaves, et, par conséquent, étaient souvent arrivés au Liberia avec beaucoup moins d’argent.

«Nous autres Libériens n’avons pas une grande conscience de notre histoire», affirme Guannu, et pourtant l’histoire suinte par tous les pores du pays. Pour celui qui vient pour la première fois, c’est un peu déstabilisant, comme regarder le Vieux Sud américain dans un miroir déformant—ou un vieil épisode rebattu de Star Trek où le capitaine Kirk atterrit sur une planète qui s’avère être une autre Amérique.

Ici, le passé fait figure de prologue, et on ne peut que tenter de deviner, sept ans après la seconde guerre civile, quels événements réservera le prochain chapitre. Une partie du problème, explique l’économiste sierra léonais Raymond Gilpin, qui travaille avec l’United States Institute of Peace, est qu’à la fin de la guerre, «il n’y avait pas de vainqueur bien défini».

Posted via email from hypha's posterous

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